Résumé du livre : Sa remise au jour en traduction française, il y a trois ans, a été une rude surprise pour beaucoup – et un joli coup à l'estomac. Non que le sujet – l'enfer du couple – soit de ceux qui répugnent à l'imagination ; mais parce que le romancier, adepte d'un réalisme cruel, en vient à compromettre son lecteur même dans cette descente au fond de l'horreur ordinaire… une horreur qui ne peut déboucher, on le devine vite, que sur le meurtre. Un homme et une femme se rencontrent, songent à l'amour, oublient de s'aimer, se marient et vont bientôt se haïr. La violence de leur affrontement, feutrée d'abord, suivra un crescendo qui semble devoir ne jamais s'arrêter. La mise à mort, pour le lecteur, sera presque un soulagement. Pour Lewisohn, la vie à deux, devenue dans la société bourgeoise moderne la matrice même du contrat social, est le vrai laboratoire de l'époque. Un laboratoire qui risque fort de se transformer en cage, pour peu que les modèles venus du dehors en viennent à réduire encore l'étroit espace de liberté dévolu à chacun – l'auteur, avant Sartre, étant visiblement convaincu que « l'enfer, c'est les autres » On se tromperait pourtant si l'on imaginait que Le Destin de Mr. Crump est un roman discursif ou, pis encore, un roman « à idées ». Rien n'est plus loin du génie de Lewisohn – tout à fait américain sur ce point –, qui n'est jamais aussi à son aise que lorsqu'il rapporte des faits, campe un personnage solidement ancré dans le quotidien, brosse une scène saisie sur le vif. Un don qui avait fasciné Thomas Mann, vite conquis par cet art ennemi des joliesses, toujours au plus près du réel : un art qui ne triche pas et où la morale, approchée avec courage et rigueur, tient lieu d'esthétique. On n'en voudra pour preuve que cette « Postface » ajoutée au récit par le romancier, et qui tente de réduire encore, s'il se peut, la part romanesque du récit, instillant dans l'esprit du lecteur ce doute dérangeant : et si tout cela n'était pas du roman… Nabokov – encore lui – recourra au même procédé à la fin de Lolita. Les censeurs dans l'un et l'autre cas ont crié au mauvais procédé. On peut les comprendre, sinon les approuver. Il ne fait jamais bon donner au diable des traits trop familiers : c'est rappeler que l'enfer est d'abord en nous, et personne n'aime entendre ça. Passage en collection « libretto » du Destin de Mr. Crump de Ludwig Lewisohn (1926), dont la redécouverte il y a trois ans fut saluée comme un événement littéraire. Un roman sur l'enfer du couple, longtemps considéré en Amérique comme un livre « maudit » (un peu comme fut, un peu plus tard, la Lolita de Nabokov). Réservé à ceux qui aiment le noir.