Résumé du livre : Et maintenant, comme je l'ai dit au début, nous pressions le pas sous la Grande Ourse. Dissipée notre frayeur nous avancions, résolus, comme aspirés par l'horrible trou borgne de la nuit, en direction de cette interminable agonie. En somme on marchait à la recherche d'un cri. L'essentiel n'était-il pas de trouver d'où cela venait ? Après, nous verrions bien...
Une nuit d'hiver, les habitants d'une ferme partent dans les bois pour découvrir l'origine d'une inquiétante plainte, «du côté des collines». Accompagnés de l'éclat d'une lune «étrangement écarlate», de lanternes, de chiens, et du souvenir du «crime des Granges Rouges», les hommes s'enfoncent dans l'obscurité. «Il se passe, en décembre, des faits bien étranges à l'écart de nos bourgs»... Le cri devient grognement, ricanement ; malgré la nuit et l'inextricable maquis, les bruits de bête et les craquements d'arbres, le curieux cortège ne cèdera pas à la panique, et sera bientôt à deux doigts de percer le mystère... La première parution d'Un cri, dans le recueil de nouvelles L'Ange au gilet rouge (aux éditions Syros) a marqué un tournant dans l'oeuvre de Pierre Autin-Grenier : l'auteur de poésie «noire» nous a offert, depuis, des récits où se côtoient le fantastique et le surréalisme (Toute un vie bien ratée, L'Éternité est inutile). Le rythme des scènes entretient merveilleusement le suspense, jusqu'au tableau final d'une beauté rare, une «vision d'apocalypse» dévoilée dans la toute dernière phrase.
Extrait du livre :
Ça n'en finissait plus. Comme une bête qu'on égorge et qui crie. Ça semblait venir de loin. Finalement nous y sommes allés, une lanterne à la main ; la nuit était trapue.
Le premier, c'est Baptiste qui avait entendu, venant d'au-delà la chênaie, une espèce de hurlement hybride déchirer soudain le silence du soir. Sa détestable habitude, à l'abri les chèvres et verrouillées les portes de l'étable, de fumer une dernière pipe à la fraîche, adossé à la margelle du puits, le tenait souvent dehors passé l'heure du potage. «Je rêve» disait-il. Nous l'attendions.
D'ordinaire, lorsqu'il avait enfin posé ses deux grands bras noueux à même la table, plongé le nez dans son écuelle, alors de tout le souper on n'apercevait plus de Baptiste que trois longs poils roux qui s'obstinaient, assez dérisoires, à vouloir faire chevelure au sommet de son crâne un peu fêlé. Il ne relevait le menton que pour dire : «Ça va» et tendre à nouveau son récipient vers une seconde assiettée.
De l'aube au coucher affairé aux travaux des champs, solitaire et silencieux sous le ciel, retour à la ferme il demeurait pareillement taciturne. Certains du village prétendaient que cette humeur chagrine lui venait de la guerre. Une balle lui aurait traversé la tête ; depuis, lui en serait resté quelque chose...